Aujourd’hui j’ai décidé d’aller à la ville à pied en parcourant huit kilomètres. J’ai préparé mon parcours avec Google Maps pour éviter les grandes artères. Les deux premiers kilomètres furent tranquilles : la route était barrée en raison de travaux. Peu de gens, peu de voitures, beaucoup de maisons cossues, beaucoup d’arbres, pas d’animal. Les cinq kilomètres suivants furent tout autre : plus j’avançais vers la ville, plus des caisses d’acier de différentes formes m’empêchaient de marcher là où je voulais. Une caisse sur trois émettait une telle odeur, que j’avais vraiment l’impression de m’intoxiquer après son passage. Je croisai un homme qui répondit à mon bonjour, une femme qui n’osa pas répondre, ce que j’ai compris en me souvenant des actualités. Deux jeunes, chacun sur sa moto de faible cylindrée, faisaient la course, résultat : bruit assourdissant, fumée toxique à en tousser ! Je sentis le regard des êtres vivants dans leurs caisses d’acier, se demandant pourquoi j’étais à pied, sans protection, me déplaçant à six à l’heure, tandis qu’eux roulaient à toute berzingue. La densité des caisses d’aciers se faisait de plus en plus importante, et là je pris ma revanche. Chaque être vivant dans sa caisse prenait tellement de place qu’il était coincé à ne plus pouvoir bouger. Je me faufilais aisément entre deux caisses et leur passais devant. Je croisai un couple très distingué qui n’imagina pas un seul instant me regarder pour me saluer, tant en ville, les êtres vivants sont nombreux et ne se disent pas bonjour. En dehors de la ville, pas d’être vivant, pas de bonjour. En ville trop d’êtres vivants, pas de bonjour !
Soudain, je rejoignis un parc. Enfin du calme, de l’espace pour les piétons, des arbres que l’on peut admirer ! Première rencontre avec des êtres vivants : quatre personnes d’âges différents, tous raccordés à leur téléphone par un fil, l’un parlait tout seul les autres étaient prostrés devant leur écran. Cinquante mètres plus loin, un autre être vivant, la trentaine, qui s’apprêtait à allumer une cigarette. Ah oui, c’est vrai, on ne sentait plus la fumée des caisses d’acier, il fallait bien la remplacer par celle du tabac ! Enfin j’arrive boulevard des Pyrénées à Pau. Le boulevard le plus renommé, pas encore complètement transformé en zone piétonne ou cyclable, donc toujours beaucoup de caisses d’acier bruyantes et odorantes. Et là, une clameur se fit entendre : dans le bas, des lumières, des mouvements mécaniques, de la musique, le bruit d’une foule en liesse, se fit entendre. Je compris alors, pourquoi les êtres vivants dans leurs caisses d’acier roulaient à toute berzingue : pour se distraire et éviter de penser, de goûter, de parler, d’échanger. La fête foraine leur donne tellement plus de sensations ! Bon, j’attendais quelqu’un, près du funiculaire. Les gens passaient, en groupe. Puis un homme, la soixantaine, osa m’adresser la parole et me demanda si je cherchais mon chemin. Je lui dis que non, que je cherchais des terriens et que pour l’instant je n’avais vus que des êtres vivants dans des caisses d’acier polluantes, des êtres vivants affairés incapables de parler etc. Il me répondit que depuis 40 ans c’est de pire en pire, mais que le pire qu’il a vu s’était pendant la guerre d’Algérie où il a vu son ami mort avec ses bourses dans la bouche. « Ça, ça reste gravé à jamais dans mon esprit, j’y pense jour et nuit ! » me dit-il. Bon, je me suis dit, je n’ai pas à me plaindre, je vais encore devoir supporter un moment cette planète avant qu’elle soit restaurée. Mais s’il te plait, Jéhovah, que ton Royaume vienne vite !
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